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Plan Alzheimer : les proches à l’épreuve

Le nouveau plan de lutte contre la maladie dégénérative, qui doit être annoncé dans les prochains jours, devra mobiliser des moyens supplémentaires pour éviter l'épuisement des familles. Le maintien à domicile des patients en dépend.

Plus que les malades, ce sont leurs proches qui s'impatientent. Le plan Alzheimer promis par le président de la République, Nicolas Sarkozy, est annoncé pour le début du mois de novembre. Les «aidants», ces membres de l'entourage placés en première ligne quand la dépendance s'installe, veulent savoir si les moyens seront à la hauteur de l'ambition affichée: maintenir le maximum de patients à domicile. Car la charge est lourde pour le conjoint, la fille ou le fils, contraint d'assumer son parent malade. Beaucoup sont au bout du rouleau.

Une série noire vient d'ailleurs de rappeler que l'accablement peut, parfois, conduire au pire. Le 7 octobre, près d'Alès (Gard), un septuagénaire a tué sa femme d'un coup de couteau, avant de tenter de se suicider. Trois mois plus tôt, tout près de là, un octogénaire avait abattu sa conjointe d'un coup de fusil, avant de se donner la mort. Marcel, lui, est ressorti libre, le 3 octobre, du tribunal de Créteil (Val-de-Marne). La cour d'assises a condamné l'homme de 86 ans à un an de prison avec sursis pour avoir étranglé son épouse, Renée. Le point commun entre ces victimes? Elles se trouvaient toutes à un stade avancé de la maladie neurodégénérative.

L'épuisement des familles n'est pas pour autant une fatalité. Les dispositifs leur permettant de passer le relais se sont multipliés ces dernières années: auxiliaire de vie pour la toilette, aide ménagère, accueil de jour, hébergement temporaire pour quelques jours ou plusieurs semaines... L'offre augmente (1), mais elle peine à suivre la progression du nombre des malades - 860 000, actuellement, en France. Ici ou là, des initiatives originales sont régulièrement prises. Par exemple à Couëron (Loire-Atlantique), au printemps dernier.

Dans cette petite ville ouvrière de la banlieue de Nantes, le service de soins infirmiers à domicile géré par l'organisme Mutualité Retraite s'est mis en tête de former les aidants, pour les préparer à la dégradation inéluctable de leur parent. Les fiches pratiques - «Georges ne veut pas se laver», «Gilberte n'ose pas avouer qu'elle ne sait plus où sont les toilettes» - sont empruntées à Edu-Santé, le service de prévention de la Mutualité française. Le programme comprend quatre séances de groupe. Et ça marche, comme L'Express a pu en juger auprès de deux des participants. Deux femmes qui ont su trouver l'énergie pour soutenir leur proche, sans pour autant se perdre.

Chez les Dumoulin, la maladie d'Alzheimer a frappé tôt. Jean a 69 ans. Marie-Thérèse, 67. Un âge où leurs amis profitent pleinement de la retraite. Elle s'imaginait vieillir avec son mari, dans l'appartement situé au-dessus de leur magasin de vêtements, des tenues habillées réservées aux grandes occasions. Mais la pathologie qui ronge le cerveau de Jean en a décidé autrement.

«Nos routes vont se séparer»

Pour l'instant, les époux sont assis côte à côte dans le salon, bien droits sur des chaises à haut dossier. Jean a croisé ses mains sur la table, comme s'il s'apprêtait à négocier une affaire d'importance. Mais c'est Marie-Thérèse qui prend la parole. Cette femme d'ordre, aussi impeccable que son intérieur, annonce avoir demandé le placement définitif de son mari dans une institution spécialisée. «Nos routes vont se séparer et, pour moi, une autre vie va commencer, poursuit-elle d'une voix soudain brisée par l'émotion. Je pense retrouver une certaine liberté, peut-être voyager en compagnie de couples qui sont nos amis de longue date.» Tandis qu'elle explique combien la décision a été difficile à prendre, Jean continue à regarder droit devant lui. Puis il bâille.

Dans le groupe de formation, Marie-Thérèse Dumoulin est celle qui a déjà tout vu, tout vécu. La privation de sommeil, quand il faut nettoyer le parquet plusieurs fois dans la nuit parce que Jean n'a pas eu le temps d'atteindre les toilettes. La peur de prendre un coup, comme l'aide-soignante que ce colosse a saisie, un jour, à la gorge. L'humiliation, quand il se mouche dans sa serviette de table devant tout le monde. Marie-Thérèse voudrait éviter aux autres participants du groupe ses propres erreurs. Alors, elle les encourage à se ménager, par exemple en inscrivant leur parent en accueil de jour le plus tôt possible. «La première fois que j'y ai envoyé Jean, j'étais pétrie de culpabilité, se souvient-elle. La deuxième fois, c'était moins difficile et, à la troisième, j'avais hâte qu'il parte.»

Sa franchise a-t-elle levé certains tabous chez ses compagnons d'infortune? Sans doute. Peu après la formation, une autre habitante de Couëron, Michelle Guillemot, a changé ses habitudes du tout au tout. Cette femme au foyer de 61 ans, vive et volubile, s'occupait quasiment à temps plein de sa mère, venue habiter dans la même ville pour plus de commodité. Matin, midi et soir, la sexagénaire enfourchait sa bicyclette pour s'assurer que la frêle veuve de 86 ans, aussi charmante que tyrannique, avait bien pris son repas et ses médicaments. A deux reprises, seulement, elle osa s'absenter. Ces jours-là, la mère fit déplacer le Samu en composant le 15.

Aujourd'hui, Michelle ne passe plus qu'une fois par jour chez sa mère. Du lundi au vendredi, une aide-soignante et une aide ménagère la déchargent des corvées quotidiennes dans la petite maison de plain-pied. En cet après-midi d'octobre, la seule tâche de Michelle consiste à préparer le pilulier. Elle remplit la boîte, la range dans le buffet, à côté des verres à pied. «Maintenant, nous sommes trois pour vérifier que ma mère n'a rien oublié», se félicite-t-elle. Quand Michelle part en voyage, son frère ou sa sœur se mobilisent. «D'ailleurs, maman, ça fait longtemps que tu n'as plus appelé les pompiers!» lance-t-elle, tout en nous adressant un clin d'oeil. Et la vieille dame, pas dupe, de nous gratifier de son plus beau sourire...

A Couëron, l'infirmière coordinatrice des soins à domicile, Christiane Leberre, plaide pour l'extension des services de ce type. «A trop solliciter les proches, on risque d'exposer les malades aux brimades, voire aux sévices», souligne-t-elle. D'autant que tous n'ont pas la vocation. Dans un ouvrage collectif récent, Le Quotidien du médecin propose justement une typologie des aidants, qui doit permettre aux généralistes d'écarter les mauvais candidats. A commencer par le «maltraitant», qui s'efforce de bien faire mais multiplie les erreurs, par méconnaissance de la maladie. Le «souffrant», lui, veut rendre service, mais il s'épuise à la tâche, faute d'avoir les ressources physiques nécessaires. Enfin, le «déserteur» se tient prêt à fuir au moment où la charge deviendra plus lourde.

Maintenir une relation indemne de la maladie

Sur le fond, faut-il vraiment inciter l'entourage à s'impliquer quand la maladie survient? La question, abrupte, est posée par Emmanuel Hirsch, directeur de l'espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dans son dernier livre sur le sujet (2). «A vouloir considérer les proches avant tout comme un partenaire dans le soin, on leur désigne un rôle qu'ils ne sont pas toujours en capacité d'assumer, écrit-il. S'interroge-t-on assez sur ce que la personne malade attend de ses intimes? Peut-être, avant toute autre considération, de se maintenir dans une relation autant que faire se peut indemne de la maladie.» Et de rester eux-mêmes, sans forcément jouer les infirmières.


Source : www.lexpress.fr

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